Deux gardes étaient postés de part et d’autre de la porte de sa chambre d’hôtel. Personne n’avait le droit de le déranger, et le couloir vide de larbins attestait du fait que tout le monde l’avait bien comprit.
La Faucheuse avait frappé tout à l’heure, et toute cette violence lui était montée à la tête.
Plongé dans un bain brulant, le maquillage du jeune homme coulait, retraçant les traits fins de ses pommettes saillantes, de sa machoire crispée, finissant sa course dans l’eau vaporeuse qu’il souillait. L’air devenait irrespirable tant il était empli de vapeur chaude. Mais rien n’avait plus d’importance pour le chef des Faucheurs que la violence qui l’avait animée lorsqu’il avait fracassé le crâne de son adversaire contre le bitume .
Oui… Tobias sentait encore les os céder sous ses doigts empêtrés dans les cheveux de l’homme, putain ce qu’il avait aimé ça ! Il s’était battu comme une bête, se sentant animé par une force destructrice. Il avait pris le temps. Il avait pris le temps d’épuiser son adversaire, le faisant danser à sa guise avant de lui administrer le coup fatal.
Ses plus fidèles admirateurs dirent l’avoir vu animé d’une fureur telle qu’ils avaient pu discerner dans l’obscurité de la nuit ses yeux briller d’un éclat sauvage, même dix mètres plus loin.
Le souvenir de cet instant suffit à Tobias pour ranimer sa démence, il avait envie de frapper, il avait envie de sentir quelqu’un mourir sous ses coups répétés.
Serrant les dents il plongea la tête sous l’eau et compta les secondes.
Une, deux, trois, quatre…
Il entendait son sang battre dans ses oreilles, ses mains tremblaient. Il lui fallait sa dose d’adrénaline ou il allait craquer.
Dix, onze, douze…
Ou alors il devait travailler pour se calmer. S’occuper de la paperasse qui s’entassait au pied de son King size vide aux draps défaits.
Vingt, vingt-et-un…
Revoir sa grand-mère, sa petite giagiá, la soutenir doucement tandis qu’ils marchaient le long des côtes de son enfance…
Trois mille, trois cent mille foutus milliards…
Tobias remonta vivement à la surface, prit d’une quinte de toux épouvantable.
« Quel con ! Mais quel con ! »
Crachotant et jurant, il sortit de l’eau et passa une serviette autour de ses hanches avant de tituber vers sa chambre où l’air se trouvait plus respirable. Il posa ses coudes à la rambarde de la fenêtre ouverte et observa d’un air indifférent la vie grouiller cinq étages plus bas.
Les gens de la nuit étaient mystérieux, de simples silhouettes noires défilant et disparaissant sous ses yeux. Ce spectacle eut le mérite de calmer Tobias. Il imagina quelle sorte de vie pouvait avoir ce passant sortant de sa berline noire mal garée. Et celle de cette femme fumant devant un restaurant, comment pouvait-elle être ?
Ses yeux suivirent un long moment la silhouette d’un jeune homme aux longs cheveux ondulés. Il avait une démarche souple, presque animale, qui fascina immédiatement le jeune homme. Et lui ? Quelle vie pouvait-il mener ?..
Il fut tiré de ses pensées par les tendres caresses de son amant sur sa nuque. Ses doigts traçaient sur sa peau de petits ronds qui avaient le don de l’apaiser.
- Tobias ?
- Excuse-moi, j’étais perdu dans mes pensées. Je crois que je t’ai déjà vu. Avant je veux dire.
- Si tu es venu en Egypte c’est possible. Ou peut-être en Russie, j’y suis parfois allé.
- ..Hm.
Poussant un long soupir, Tobias prit son amant dans ses bras pour enfouir son visage dans le creux de son cou.
- ...N’empêche que si ça n’était pas toi, c’était tout de même un signe.